Depuis le premier tome de Seuls, Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti nous plongent dans un monde où cinq enfants se retrouvent brutalement séparés des adultes et des autres êtres humains. Cette disparition soudaine et inexplicable pose immédiatement une question fondamentale : dans quel genre d’univers les protagonistes sont-ils piégés, et pourquoi eux ?
À travers une analyse approfondie, cette théorie vise à éclairer les différentes possibilités qui pourraient expliquer la nature du monde de Seuls, tout en explorant ses thèmes sous-jacents comme la survie, l’amitié, la peur de l’inconnu, et surtout le passage à l’âge adulte.
1. L’univers parallèle : un monde alternatif ou un purgatoire ?
La première théorie qui s’impose naturellement aux lecteurs de Seuls est celle de l’univers parallèle. Dès les premiers tomes, on observe que la ville est exactement comme dans la réalité, à une exception près : elle est complètement vide d’adultes et de toute autre forme de vie humaine, à l’exception des cinq enfants. Ce constat initial fait penser à une dimension parallèle, une sorte de reflet de notre monde où certaines lois de la réalité ont été modifiées. Mais quelle est la nature de cette dimension ?
Il est possible que cet univers soit en fait une version alternative de notre monde, où seuls les enfants (et en particulier ces cinq enfants) existent. Toutefois, la situation dans laquelle ils se trouvent semble bien plus complexe qu’un simple transfert dans un monde parallèle. La présence de créatures fantastiques, comme les chimères, et de phénomènes étranges, comme l’apparition d’ennemis mortels tels que les “Maîtres des couteaux”, suggère un monde dont la logique diffère radicalement de celle de notre réalité.
En poussant cette réflexion plus loin, on pourrait imaginer que cet univers est en réalité une forme de purgatoire, où les enfants sont envoyés pour accomplir une tâche, expier des fautes, ou affronter leurs peurs les plus profondes avant de pouvoir “avancer” vers une autre étape de leur existence. Cela pourrait expliquer l’absence d’adultes : ces derniers, ayant déjà accompli leur propre cycle de vie, seraient passés dans un autre monde. Les enfants, quant à eux, sont piégés dans cet entre-deux où ils doivent affronter des épreuves pour survivre, grandir et évoluer.
2. Les enfants sont-ils des élus, des cobayes ou des victimes d’une expérience ?
Une autre théorie intéressante concerne le rôle spécifique des cinq enfants. Sont-ils les seuls survivants d’un événement apocalyptique ? Ont-ils été choisis pour une raison particulière ? La série ne manque pas d’indices laissant entendre qu’ils ne sont pas arrivés là par hasard.
Les cinq protagonistes – Dodji, Leïla, Camille, Yvan et Terry – représentent des personnalités très différentes : Dodji est un leader naturel, Leïla est forte et indépendante, Camille est la plus empathique, Yvan est cérébral et peureux, tandis que Terry incarne l’innocence et la naïveté. Cette diversité pourrait indiquer que chaque enfant a été choisi pour représenter un archétype spécifique, et qu’ils sont les “élus” d’une expérience orchestrée par une force mystérieuse, qu’elle soit surnaturelle ou technologique.
Il est également possible que ces enfants soient des cobayes dans une expérience grandeur nature, où un groupe d’individus (les Maîtres des couteaux, les créatures ou même d’autres enfants ayant échoué avant eux) les observe et les manipule. Ces entités pourraient tester les limites humaines, étudier les réactions émotionnelles ou simplement jouer avec eux pour des raisons qui échappent à toute logique humaine.
Dans ce contexte, les ennemis qu’ils rencontrent pourraient être des manifestations externes de leurs peurs et faiblesses, destinées à les briser ou à les faire grandir. La série pousse les enfants dans des situations de survie extrême, où ils sont forcés de se battre, de tuer et de prendre des décisions impossibles. Cela renforce l’idée que ce monde est une sorte de terrain d’entraînement, ou de test ultime, pour voir comment ils réagiront face à l’adversité.
3. Les traumatismes des enfants comme clef de l’intrigue
En explorant la psychologie des personnages, il est également possible d’envisager que l’univers de Seuls est une métaphore pour les traumatismes individuels de chaque enfant. Chacun d’eux semble avoir vécu des expériences difficiles avant d’arriver dans ce monde. Le fait que leurs familles et proches ne soient pas présents pourrait symboliser un sentiment d’abandon ou de rejet qu’ils ont déjà ressenti dans leur vie réelle.
Dans cette optique, ce monde parallèle serait en fait une projection de leurs peurs intérieures, et les épreuves qu’ils traversent seraient des métaphores pour les traumatismes qu’ils doivent surmonter. Par exemple, Dodji, souvent contraint d’endosser le rôle de leader, semble lutter avec la solitude et la responsabilité de protéger les autres. Yvan, quant à lui, incarne la peur et l’incertitude, ce qui pourrait refléter des sentiments d’insécurité ou d’anxiété dans sa vie réelle.
Si l’on suit cette logique, l’univers de Seuls pourrait servir de cadre à une sorte de thérapie collective, où les enfants doivent affronter leurs peurs et leurs démons intérieurs pour espérer revenir à la réalité ou atteindre un état de paix intérieure. Ce thème rejoint celui du passage à l’âge adulte, où les enfants doivent laisser derrière eux leurs insécurités et apprendre à survivre par eux-mêmes, sans l’aide des adultes.
4. Les créatures et les “zones” : manifestations du subconscient ?
Les différentes créatures rencontrées par les enfants – comme les chimères ou les créatures mystérieuses qui semblent les traquer – ainsi que les zones étranges dans lesquelles ils se retrouvent, pourraient être des manifestations physiques de leur subconscient. Chaque zone présente des défis uniques, souvent en rapport avec les peurs ou les faiblesses des personnages. Par exemple, la “Zone Blanche” est un endroit glacial et inhospitalier, qui force les enfants à repousser leurs limites physiques et mentales pour survivre.
Ces zones, ainsi que les créatures qui les habitent, pourraient représenter des aspects refoulés de la psyché des enfants. Les chimères, par exemple, sont des créatures hybrides, mi-humaines mi-animales, qui pourraient symboliser la dualité entre l’innocence de l’enfance et la brutalité du monde adulte. Les enfants sont confrontés à ces créatures lorsqu’ils sont au bord de l’effondrement, ce qui pourrait indiquer que ces monstres sont en fait des manifestations de leur propre lutte intérieure entre la peur et le courage.
5. Le temps et la répétition : un cycle sans fin ?
Une dernière théorie, particulièrement fascinante, est celle d’un cycle temporel ou d’une boucle. Dans plusieurs tomes, il est fait mention d’autres groupes d’enfants qui auraient vécu des expériences similaires avant les protagonistes. Cela laisse entendre que les cinq héros ne sont pas les premiers à être confrontés à cet univers étrange, et qu’ils ne seront probablement pas les derniers.
Cette idée d’une boucle temporelle ajoute une nouvelle couche de mystère à l’intrigue. Si les enfants sont coincés dans un cycle de répétition, où chaque groupe est condamné à échouer ou à se perdre, cela pourrait expliquer pourquoi le monde semble si figé. Ce cycle pourrait être une punition cosmique ou un test destiné à sélectionner les enfants capables de briser la boucle et de découvrir la vérité sur leur situation.
En conclusion, Seuls est une œuvre bien plus complexe qu’elle ne semble l’être à première vue. Derrière l’histoire d’aventure et de survie se cachent des thèmes profonds comme le passage à l’âge adulte, la lutte contre les peurs intérieures, et la quête de sens dans un monde dénué de logique. Que les enfants soient piégés dans un purgatoire, victimes d’une expérience ou simplement en train de surmonter des traumatismes personnels, il est clair que leur voyage est autant psychologique que physique.