06 octobre 1995 - 23 juin 2005
"Depuis le mois de juin de ma dixième année, ma vie a pris la forme d'une série
d'énigmes, mystères et questions qui restent soit sans réponse,
ou auxquelles la réponse donnée est des plus étranges.
Pour commencer, ma ville se vida du jour au lendemain, sans signe avant-coureur,
explication ou trace de panique ou de violence.
Disposant de ressources quasi-illimitées
et aidé de mon tempérament patient et solitaire,
je sus organiser ma survie, puis ma vie en quelque sorte,
mais fus incapable de contacter le monde extérieur.
Puis le temps passant, et la chaleur montant à un point au-delà du caniculaire,
je me décidais à partir.
Apprenant par moi-même à conduire puis quittant la région de Grenoble,
celle de Valence ne valait guère mieux;
un désert de cendres, une étendue calcinée!
Supportant le climat autant que la solitude, je descendis jusque sur la côte
méditerranéenne, et tombais sur la première forme de vie organisée depuis trois
semaines. À la question: étais-je seul?, la réponse était négative, mais avec un
twist difficilement explicable: le groupe de cavaliers que je rencontrais était
constitué par des enfants de 6 à 18 ans, mais sortait clairement d'un autre temps
ou d'une société étrangère; leurs tuniques, leurs montures, leurs armes, leur
attitude cryptique évoquait les peuplades scythes, mais leurs yeux d'un bleu aussi
pâle qu'hypnotique et leurs cheveux blond platine coupés ras indiquaient plutôt
une origine germanique ou scandinave.
Ils s'adressèrent à moi en latin, puis en français, me faisant comprendre qu'ils
appartenaient à une civilisation qui se nommait les premières Familles(ils
marchaient sous la bannière de la sixième, pour être plus précis). Ils me
demandaient de les suivre. J'y consentis, et passant d'une voiture à un cheval avec
ma méfiance soigneusement dissimulée sous un voile de curiosité et d'étonnement.
Lorsque le soir même je leur demandais par quel hasard ils m'avaient trouvé, leur
chef me répondit que cela n'avait rien d'un hasard. Leur mission consistait à
parcourir les limites de leurs territoires à la recherche des âmes perdues qu'un
phénomène dont ils ne parlaient que de manière vague lâchait à intervalles
réguliers(mais non précisés, là encore!) dans ce monde entre passé et présent.
J'étais leur première trouvaille.
Le lendemain, alors que nous prenions la route
vers l'est en quête d'autres solitaires comme celui que je fus, je pris secrètement
une décision qui me suit encore aujourd'hui;
ce monde transformé était une énigme, j'en deviendrais une à mon tour.
Fort de quelque expérience théâtrale et d'une identité empruntée à une
histoire de mon invention, j'allais devenir Varensta, ou V., un être d'une éloquence
et d'une amabilité rare, mais aussi mystérieux et énigmatique qu'un spectre.