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Théories des Limbes
De Le Maître Sain — 10 janvier 2025 à 02h39
Les Enfers et les Terres (1)
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On le sait, les Terres Basses sont inspirées à la fois des Enfers grecs et de l’Enfer de Dante Alighieri (dans « La Divine Comédie »). Ses résidents se retrouvent ainsi dépeints dans plusieurs personnages ou créatures limbiques. Commençons par les Enfers grecs, le royaume des morts selon les Anciens gréco-latins.

 

 

Le monde souterrain

Ils l’envisageaient comme un lieu souterrain (« infernus » en latin) où règne le dieu Hadès ainsi que son épouse, la déesse Perséphone. « L’Hadès » comme on l’appelait était ainsi le séjour de tous les morts, sans exception, mais les destinations n’étaient pas les mêmes. Toutes les âmes sont envoyées en Hadès pour être jugées après la mort, selon leurs qualités et leurs défauts ; elles y sont retenues comme des ombres, sans force ni sentiment, mais peuvent rependre vie quand on les évoque – notamment par une libation de sang à même le sol.

Lorsqu’un individu meurt, le dieu Hermès, qui assurait aussi des fonctions de psychopompe, était chargé de conduire l’âme du défunt dans les Enfers. Ce sont les trois Juges qui se chargent ensuite de la sentence : Minos, Éaque et Rhadamanthe. Les criminels et les menteurs sont envoyés dans des endroits peu amènes, comme les Champs du Châtiment, où les tourments sont éternels – les pires criminels étaient regroupés dans le terrible Tartare, un abîme immense, une prison inviolable aux triples murs d’airain avec porte de fer, entourée d’un fleuve de feu, le Phlégéthon.

Le Tartare est une région aride, brumeuse, monotone, silencieuse, avec des étangs glacés, des lacs de soufre ou de poix bouillante, des fleuves aux eaux boueuses et des marécages nauséabonds. On y trouvait notamment Sisyphe, Tantale, les Danaïdes, les Titans, les Géants, des dieux déchus ou rebelles, tous piégés dans un éternel supplice. On dit que la distance du Tartare jusqu’à la surface est égale à celle qui sépare les cieux de la surface. Dans cette vaste région s'élevait également le palais d’Hadès, pourvu de nombreuses portes et peuplé d’autels innombrables. Campé, une femme-serpent, était la gardienne de ce Tartare, l’endroit le plus bas du monde souterrain, qu’on disait soutenir les fondements des terres et des mers.

 

 

Des Enfers aux Champs-Élysées

Les âmes des héros, des vertueux et des bienfaiteurs intégraient une sorte de paradis : les Champs-Elysées, « tout au bout de la terre », qu’on assimilait aussi aux « Îles des Bienheureux ». On pensait parfois que seuls les initiés aux mystères orphiques pouvaient y pénétrer. Ce lieu connaît un éternel printemps et possède son propre soleil et ses propres étoiles. Jardin reposant et rafraîchissant, on y trouve ainsi des personnages célèbres de l’Antiquité gréco-romaine, des chevaliers, des prélats… Entre les Champs-Elysées et le Tartare, trônait le palais d’Hadès et de Perséphone.

On croyait que les héros qui obtenaient la faveur des dieux étaient envoyés aux Champs au lieu de mourir, y jouissant d’une plaisante nouvelle vie. D’autres encore disaient que les âmes vertueuses y séjournaient temporairement avant d’être réincarnées. Les âmes des justes, quand elles quittaient les Champs pour se réincarner, devaient boire les eaux du fleuve Léthé, qui avaient la faculté d’effacer presque entièrement la mémoire de celui qui s’en abreuvait : elles pouvaient alors repartir à la surface et intégrer un nouveau corps, pour recommencer une vie humaine en principe vierge de tout souvenir.

Quant à ceux qui n’étaient ni vertueux ni criminels, ils erraient çà et là dans les Enfers, mais se regroupaient généralement dans le Pré de l’Asphodèle, où ils menaient une existence sans substance et sans but. L’asphodèle est une plante fleurie dont on ornait généralement les tombes des morts.

 

 

Le domaine de la peur ? 

On pensait aussi que les rêves, bons ou mauvais, provenaient des Enfers, et ainsi, il s’y trouvait un lieu particulier, l’Érèbe, régi par les jumeaux Hypnos (« le Sommeil ») et Thanatos (« la Mort »), qui faisaient monter les rêves vers les mortels. Ces songes passaient par deux portes : la Porte de Corne pour les songes véridiques ; la Porte d’Ivoire pour les songes mensongers. L’Erèbe, noyé dans un constant brouillard noir, est la région la plus proche de la surface, non loin du domaine de Cerbère : c’est ici que les âmes des dormeurs allaient, pensait-on, pendant leur sommeil. On y trouve aussi trois palais : le palais de la Nuit, le palais des Songes, et le palais du Sommeil. De nombreuses divinités de la nuit et de la lune y résidaient.

C’est aussi le domaine des Érinyes, divinités vengeresses et gardiennes de la justice. Responsables des ouragans et des malédictions, on les disait chargées de punir les individus de leur vivant, de tourmenter ceux qui font le mal, et même parfois de les poursuivre après leur mort. Appelées Mégère, Tisiphone et Alecto, elles inspiraient la crainte ne serait-ce que par leur apparence, croisement entre les harpies et les gorgones. À leurs côtés, les Moires (ou les Parques), les trois divinités du Destin, qui filent, tissent, déroulent puis coupent le fil de la vie de chaque individu. Clotho, Lachésis et Atropos sont ainsi associées aux cycles cosmiques, aux grandes déesses de la nature, de la végétation et de la fertilité.

Les Enfers étaient gardés par un chien à trois têtes, Cerbère, terrifiant, hargneux, rigide, qui empêchait les morts de s'échapper et les vivants de venir les récupérer et même d’entrer aux Enfers. Cerbère sera ensuite capturé par le demi-dieu Héraclès/Hercule lors de ses Douze Travaux, avant d’être renvoyé dans l’Hadès. Enchaîné à l’entrée des Enfers, il terrifiait les morts qui devaient, pour l’apaiser, placer un gâteau au miel sur leur tombe. Même sa bave était réputée toxique. La Porte des Enfers, faite d'airain, était maintenue en place par des gonds du même métal.

 

 

Le passage des mondes 

Les Enfers sont séparés du royaume des vivants par un ou plusieurs fleuves. Tous convergeaient au centre du monde souterrain vers un vaste marais. Une fois passé sur l’autre rive, le retour n’était plus possible ; seuls quelques héros en revinrent.

Si les morts ont été enterrés selon les règles (sinon, ils ne passent pas sur l’autre rive, et doivent errer sur les bords de l’impétueux fleuve Cocyte pendant un siècle, formé par les larmes des repentants), Charon (ou Phlégyas parfois), le passeur, leur fait traverser le fleuve Styx ou Achéron dans sa barque, moyennant une obole symbolique – d’où la coutume de placer une obole sous la langue du mort avant son enterrement. Charon est ainsi le passeur du Styx, le fleuve le plus connu des Enfers, qui donne l’invulnérabilité à qui est trempé dans ses eaux (comme Achille par exemple, sauf au niveau de son talon, par où sa mère le tint en l’immergeant). Le Styx pouvait être atteint depuis la Terre, car c’était l’une des entrées les plus connues des Enfers. On dit aussi que le Styx est le fleuve de la haine.

On le confond parfois avec le fleuve Achéron, profond et noir fleuve de la douleur, du chagrin et de l’amertume, dont les eaux coulent en partie à la surface, réputé empoisonner les mortels qui buvaient son eau. Il y avait également le Phlégéthon, le fleuve de feu, qui entoure, comme dit plus haut, la « Prison des Mauvais ». Ainsi que le Léthé, le fleuve de l’Oubli, qui traverse les Champs-Elysées.

Pour les Grecs, les Enfers n’étaient pas qu’une projection abstraite et imagée : on pouvait réellement y accéder depuis la surface du globe, car il se trouvait littéralement sous nos pieds, au cœur de la Terre. On pensait qu’ils se trouvaient à l’Ouest du monde, au-delà du fleuve Océan. Toute anfractuosité ou caverne insondable devait mener aux Enfers ; on pouvait y accéder depuis le monde des vivants par plusieurs chemins, partout dans le monde, et via quelques fleuves.

Les anciens croyaient que l'âme des défunts partait pour l'au-delà dans un autre monde ; pour eux, la mort n'était pas la fin complète de l'existence humaine, mais l'âme y survivait, sans aucune finalité à leurs yeux.

 

 

L’orphisme 

Nul ne ressort habituellement de l’Hadès, sauf quelques exceptions. Orphée en faisait partie. Il y descend en creusant une nouvelle entrée avec sa lyre, après que son épouse Eurydice s'est fait mordre par un serpent alors qu'elle courait dans un champ, ce qui la tua sur le coup. Arrivé aux Enfers, Orphée demande au couple Hadès et Perséphone s'il peut ramener Eurydice chez lui. Le couple répond oui, mais à une seule condition : qu'il ne la regarde qu'à la sortie des Enfers, pas avant. Orphée s’exécute mais, vers la fin, il finit par se retourner pour admirer sa femme, ou par crainte, ou par doute, et la perd à jamais.

Commence ainsi le courant religieux de l’orphisme, sorte de théologie initiatique. Selon cette doctrine de salut, il y a eu une souillure originelle, et l'âme est condamnée à un cycle de réincarnations dont seule l'initiation pourra la faire sortir, pour la conduire vers une survie bienheureuse où l'humain rejoint le divin. L'orphisme défend ainsi une sorte de palingénésie, un retour à la vie : toutes les âmes reprennent d'autres formes d'existence, par exemple de père à fils, d'humain à plante et animal à la fois, du fait que les naissances viennent des morts.

Liée à l’orphisme se trouve Mélinoé, déesse des fantômes et des cauchemars. Elle est la fille de Zeus et Perséphone, lorsque le premier se serait fait passer pour Hadès. De fait, elle naquit avec un corps double, moitié blanc (le ciel), moitié noir (les enfers) ; aussi Mélinoé était-elle considérée comme une divinité à la fois ouranienne (céleste) et chtonienne (souterraine). Elle est ainsi la demi-sœur de Macaria, fille d’Hadès et Perséphone, qui personnifie la mort « heureuse », tranquille et paisible ; elle est reliée aux êtres en quête de béatitude extrême, que seule la mort peut assurer.

Macaria a un frère, Zagreus ou Zagrée, qu’on confond parfois avec Hadès lui-même. Son nom pourrait signifier « chasseur d’animaux vivants ». Zagreus serait considéré comme l’avatar de Dionysos, dieu de la vigne, avant sa réincarnation. Héra, l’épouse de Zeus, jalouse de cet enfant qu’il avait eu, pense-t-on, avec Perséphone, envoie les Titans à sa poursuite, alors qu’Apollon et ses alliés l’avaient caché dans les bois du mont Parnasse. Mais les Titans parviennent à distraire l’enfant grâce à des miroirs et des jouets, puis s’en saisissent et le mettent en pièces. Ses 9 membres sont ensuite dévorés, à l'exception du cœur, qu'Apollon (ou Athéna) parvient à sauver. Zeus avale ensuite le cœur de l'enfant et parvient ainsi à lui donner naissance une seconde fois, sous le nom de Iacchos ou Dionysos : « deux fois né ».

Une autre version précise que Zeus fait renaître Dionysos en implantant son cœur dans le corps de sa maîtresse Sémélé. Les Titans, pour leur part, sont foudroyés par Zeus, qui déclenche également un déluge pour venger et honorer Zagrée, et de leurs cendres naît l'humanité. On trouve aussi que Dionysos renaît sous le nom de Zagreus après que les morceaux de son corps ont été mis dans un chaudron et cuits dans le lait. L'opération de cuisson par le chaudron ou le passage par la flamme serait alors une opération magique aux fins de rajeunissement. Quand il s'agit d'un enfant, l'opération confère à celui qui subit cette épreuve des vertus diverses dont l'immortalité. Il a également été suggéré que le mythe de Zagreus pourrait être issu de rites d'initiation de jeunes gens, introduits tardivement dans le cycle de Dionysos. À partir de l’orphisme, d’autres cultes à mystères se sont développés plus tard, comme ceux d’Eleusis.

 

 

Clins d’œil dans la série 

Certains personnages de Seuls s’inspirent dès lors clairement de certaines personnalités infernales :

 - Les Cerbères pour…Cerbère

 - Jonathan/le Ravaudeur pour Charon

 - Aldéric pour Hadès (et Zagreus)

 - Camille pour Perséphone

 - Yvan ou son père pour Orphée ; Zoé pour Eurydice

 - Jézabel pour Hermès ou Mélinoé

 - Les Cauquemares pour les Juges

 - Camille pour Campé, etc.

 

Quant aux lieux, on peut avoir :

 - Le Nadir (avec tout ce qui l’entoure) pour le Tartare

 - Le Paradis pour les Champs-Elysées

 - Les Limbes en général pour le Pré de l’Asphodèle

 

On peut aussi noter quelques points importants pour nous aider à mieux éclaircir les Limbes :

 - Le Nadir, plus que les Limbes, serait le fondement de la terre et des mers, et situerait donc les Limbes en-dessous de la Terre et non pas au-dessus, d’où la possibilité d’influer sur les évènements terrestres et pas seulement les guerres… Le Nadir serait dès lors un pilier entre les mondes, et quiconque y réside et le maîtrise serait capable de menacer les Limbes et la Terre et d’en faire son jouet.

 - Les Limbes, comme les Enfers, accueilleraient tous les enfants, mais certains sous la forme d’esprits invisibles ou de la Force. Certains vivraient libres, d’autres dans le Nadir, d’autres au Paradis, d’autres dans d’autres lieux encore…

 - En rejoignant le Paradis (à partir du Nadir ?), certains enfants pourraient ainsi se réincarner et commencer une vie nouvelle sur Terre. Cela serait arrivé à Aldéric, au père d’Yvan et à d’autres enfants… Yvan, ainsi, ne serait pas Yvan mais son père ?

 - Les Limbes sont donc bien un passage vers mieux, comme pour les Enfers, il y a la possibilité de ne pas rester toujours au même endroit, et même de s’en échapper…

 - Puisque les Enfers et la Terre semblent très liés et peuvent même être accédés depuis la surface, puisque c’est un monde souterrain, il y a donc des liens subtils entre les morts et les vivants, bien plus qu’on le croit…

 - Si réincarnation il y a (sans même mentionner les « plusieurs vies limbiques »), alors il faudrait également passer par une sorte de « fleuve de l’oubli » pour délaisser l’ancienne vie et embrasser la nouvelle…

 - Les rêves/cauchemars seraient également liés aux Limbes ou pourraient l’être ; on sait que Terry peut communiquer avec sa mère d’une manière quasi-similaire. En dormant, sur la Terre comme dans les Limbes, on communique partiellement, inconsciemment, avec les Limbes. Et on sait que les songes peuvent modifier la structure et les évènements des Limbes…

 - Une justice particulière pourrait être perpétrée depuis les Limbes sur la Terre, et poursuivre et tourmenter un fautif ; cette justice le frapperait de son vivant et même après sa mort. On pense au père d’Yvan.

 - Le destin pourrait également se jouer dans les Limbes, qui déciderait à quel moment couper le fil ou le tisser, et de qui entrerait dans les Limbes.

 - L’élément aqueux est souvent mis en corrélation avec les Limbes : mer, fleuve, maelström, océan… Est-ce là que se trouverait un passage entre la Terre et les Limbes, ou pour accéder au Nadir ?

 - Les enfants morts de manière particulière devraient errer un certain temps dans les Limbes avant de trouver la félicité (Mort Dernière ?), mais ils peuvent atteindre le Paradis avant par certains moyens.

 - Les Limbes prouveraient donc qu’il y a survie de l’âme après la mort.

 - L’âme limbique est condamnée à un cycle de retours jusqu’à ce qu’elle en sorte en rejoignant le ciel.

 - Les réincarnations seraient possibles pour tous, et pas seulement pour quelques-uns, et traversaient les générations, les êtres vivants ?

 - Si naissance exige mort et mort exige naissance, cela signifie que la naissance de Lucie pourrait annoncer une mort à venir…ou serait le fruit d’une mort précédente bien particulière ? D’où le fonctionnement des Limbes de morts en renaissances…

 - Les Morts Derniers connaissent enfin la « mort tranquille », la béatitude attendue (Anton et l’Enfant-Miroir le démontrent).

 - Aldéric aurait subi un découpage macabre mais parviendrait à revivre ou à survivre quelque part, et ses morceaux ou sa personne feraient l’objet d’un culte afin d’accéder à l’immortalité ou la réincarnation.

 - Cette idée de la jeunesse éternelle n’est d’ailleurs pas anodine dans une série comme Seuls, et évoque aussi Peter Pan qui ne veut et ne peut pas grandir, ainsi que Crochet, qui craint la mort comme la peste…

 

Il y aurait bien d’autres choses à dire encore sur ces sujets… Qu’en pensez-vous ?

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