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Les personnages de Seuls
De Malike — 16 avril 2025 à 22h32
Perso, je trouve [1] : Lucius
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Avertissement : Je suis un être insensé, construit à partir subjectivité profonde et d’obsession irrationnelle. Donc si ce concept va au-delà d’un post, il est certain que vous ne serez pas d’accord avec l’entièreté de ce que je raconterai ; c’est là toute la beauté d’être plongés dans un autre regard que le sien. N’hésitez pas si vous souhaitez reprendre le concept selon votre propre regard !

 

Croyez-le ou non, ça fait huit ans que je suis active sur ce site.

Et croyez-le ou non, la raison première qui m’a remise à la lecture de la BD Seuls, c’est Lucius

Lucius.

Un des trois péquenots dirigeant une cité-état (inconnue au bataillon pendant les sept premiers tomes), et dont le temps d’apparition (si on cumule toutes ses cases) n’excède sans doute pas six pages au total (je suis généreuse).

J’pense qu’il est temps que je justifie ça, parce que franchement, ça n’a aucun sens.

 

Let’s be real.

 

Layer 1 – Sérieux, on s’en fout de Lucius

 

Ouais, faut mettre les choses au clair. On s’en fout de Lucius.

Les personnes qui lisent ce post ont toutes les raisons de s’en foutre de Lucius, la BD n’a pas de grand intérêt pour Lucius, et même moi, à ma première lecture du tome 8, je m’en foutais complet de Lucius. Je dois même ajouter que je trouvais les charadesigns des Sages vus et revus et ennuyeux.

Mais bon, si ce layer avait duré, je ne serais pas sur ce site pour en parler, hein ?

 

Layer 2 – La scène™️

 

Si vous aviez demandé à la Malike de 2017 pourquoi son personnage préféré était Lucius, elle vous aurait parlé de la scène de Chant d’automne.

D’une manière ou d’une autre, c’était toujours cette scène.

Pour ceux qui ne s’en rappellent pas (je ne peux pas vous blâmer), permettez-moi de vous rafraîchir la mémoire. Alors qu’il s’apprête à être interrogé par les Sages de Néosalem, dans le tome 8, Dodji tente de prendre la fuite. Mais il est rattrapé par Achille, menacé par Éloi, et contraint de continuer de passer les épreuves dans les Arènes.

Cette tentative d’évasion est, plus tard, punie par une épreuve qu’il doit piocher au hasard, et réussir sous peine de se faire trancher la main. Le hasard veut que Dodji soit forcé de réciter un poème devant toute la foule des Arènes.

Il choisit Chant d’automne de Charles Baudelaire. C’est ainsi que la scène débute. Dodji, tiraillé par une expression résignée et colérique, récite les vers, seul devant la foule. Les cases sont à la fois simples et sinistres, remplies seulement du verbe de Baudelaire et des visages indistincts du public. On peut sentir le silence qui pèse, jusqu’à la rupture. Un étrange élément perturbateur : Lucius, un des Sages de Néosalem, achève la scène en complétant le poème et en donnant son titre.

Aucune explication, après ça. Pas de follow-up, seulement un genre de pesanteur. Pourtant, on vient d’assister à une espèce de dialogue, là. Que dit ce dialogue ? Comment interpréter cette scène ? Je crois que personne ne s’est particulièrement penché sur cette question jusque-là, sur le site. La scène de Chant d’automne aura gardé, depuis toutes ces années, son aura de mystère, d’étrangeté, de menace, d’incompréhension.

 

Bon sang, que je l’adore, cette scène. C’est par cette scène que Lucius est mis en avant comme personnage distinct de son trio avec Diane et Éloi. Par cette scène qu’on télescope un traumatisme d’un des plus jeunes enfants des Limbes et les traumatismes suggérés vécus par les anciens des Limbes. Si on prend cette scène toute seule, il y a une connexion qui se crée, pendant un court moment, entre Dodji et Lucius. De quel ordre ? Mystère. On voit juste un sentiment d’incompréhension générale autour d’eux, avec la confusion des autres enfants de Fortville et du Maître des Jeux. Et pendant un court moment, sous la forme d’un texte, une question est posée, cachée entre les lignes, question à laquelle personne n’a répondu jusque-là.

Pour tous ces degrés, j’ai été complètement investie dans le personnage de Lucius à partir de là.

 

Pause top 5

Pourquoi je trouve la scène du poème d’Aimé Césaire (fin tome 12) éclatée, en comparaison de celle de Chant d’automne

 

5. La composition de la planche dans le noir a zéro charme. Vous vous souvenez de cette scène, dans le tome 4, où Dodji confesse qu’il a assassiné son beau-père ? Le contraste du noir et du bleu jouant sur les ombres, sur ce qui est caché et dévoilé du visage de Dodji, pour montrer toute l’ambiguïté du personnage et le mal qu’il ressent à ce souvenir ? Bah là non t’as juste Dodji éclairé normalement qui a l’air juste un peu chafouin d’être prisonnier d’un type qui réveille ses pires traumas. Y a pas.

4. ET TU ME DIS QUE TU FAIS LE POÈME EN QUATRE CASES ?? Ça a tout juste commencé c’est déjà terminé, où est la longueur où est la pesanteur.

3. J’en ai trop rien à faire de l’avis du co-détenu sur ce poème. No shade mais le mec on le connaît depuis deux tomes, il est pas consistant niveau langage (un coup soutenu, un coup familier), on sait pas qui c’est et on se pose déjà trop de questions pour ajouter ça à la liste, bref grosse flemme de toi mec tu sers à rien désolée...

2. En plus il a fallu 8 tomes pour que Dodji se confie à ses plus proches amis sur ses traumas concernant son beau-père qui le forçait à apprendre des poèmes. Là t’es en train de me dire que le colloc de prison sait ?? Dodji lui en a parlé ??? Hors champ ?????

1. Et le colloc lui DEMANDE de lui réciter un poème alors que c’est un trauma pour Dodji ? Et Dodji accepte ???

C’est trop

 

Layer 3 : La peur

 

Je me retrouve donc avec, sur les bras, un favoritisme pour Lucius.

À ce stade, le tome 10 est tout juste sorti, tome où il n’a pas pointé le bout de son nez. J’ai donc à me mettre sous la dent que le contenu des tomes 8 et 9. Deux tomes où il apparaît à peine, et jamais seul.

J’ai eu beau l’extrapoler dans fanfictions et dessins, en vérité, il y a très très peu à dire sur Lucius. Tout ce qu’on peut grappiller de lui, c’est que c’est un personnage qui agit de façon sérieuse (voire, carrément sinistre, par moments), qui se focalise essentiellement sur son travail de Sage, qui montre très rarement ses émotions. Et, en passant, qui a l’air d’être fâché avec le concept de dormir. Pardon quelqu’un peut m’expliquer pourquoi, de tous les personnages à partir du tome 8 (ESCLAVES COMPRIS-), c’est le seul gars qui est très régulièrement dessiné ayant des cernes… ?

Bref

Un nouveau trait de caractère apparaît dans le tome 9, lors de la scène d’arrivée de Toussaint à Néosalem. Quand celui-ci reproche aux Sages de l’avoir contacté par pigeon voyageur plutôt que par radio, Lucius rétorque « Toussaint, tu sais comme nous que les machines ne sont plus fiables quand les forces du Mal se manifestent à nouveau ! ». Sur ce, Toussaint l’accuse d’être effrayé par les technologies, et d’être resté coincé dans « le passé ».

Eh bah voilà. Vous avez sous les yeux la deuxième raison pour laquelle j’ai été obnubilée si longtemps par ce personnage.

 

L’aspect qui est le plus cruellement sous-exploité de la BD, selon moi, c’est le passé des Limbes. Le passé sans Dodji, Terry, Leila, Camille et Yvan ; le passé des Premières Familles et des Dernières Familles, leur adversité, leurs guerres précédentes. Je ne veux pas forcément qu’on voit ce qui a pu arriver avant ; mais par contre, j’ai besoin de me dire que les membres des Premières Familles ont eu une existence en-dehors de notre quintet de protagonistes.

Et ça se fait ressentir, dans les tomes. Mais pas assez.

- Toussaint est marqué d’une brûlure (causée par sa mort originelle ? Par le Mal ?), n’a plus peur de la mort et semble déterminé à éliminer les adversaires de l’Empire, oui ; mais à quel ressenti psychologique a-t-on droit de lui, à part la haine pure envers ceux qui se dressent en travers de son chemin ?

- Dans le tome 9, Achille affronte le Maître-Fou, qu’il déteste, car ce dernier s’en serait pris à une certaine Jézabel ; mais cette histoire retombe comme un soufflé quand on apprend, dans le tome 13, que Melchior n’est apparemment pas responsable de ce qui est arrivé à Jézabel.

- Dans le tome 10, Diane semble profondément effrayée lorsqu’elle évoque les personnes étant tombées sous l’emprise du Mal ; mais on n’en parle plus, par la suite, la corruption du Mal n’est plus évoquée.

- Dans le tome 12, le conseil de Néosalem discute des « Amas Pourpres », nom qu’ils donnent aux Cairns du tome 4, et le Maître-Fou est brièvement mentionné, attirant un ou deux frissons à la tablée ; mais ça s’arrête là.

 

Je ne dis pas que Lucius est particulièrement différent, dans cette optique, mais la scène du tome 9 avec Toussaint le caractérise par une émotion à laquelle les enfants ne sont pas étrangers, dans le cycle 1 : l’effroi. Un effroi légitime envers la menace qu’est le Mal, amenant à des mesures irrationnelles, aka repousser la technologie moderne malgré toute l’utilité que celle-ci pourrait avoir.

D’ailleurs, entre sa scène du tome 10 et le fait que Diane était d’avis de refuser de contacter Toussaint par radio, je pencherais pour l’hypothèse qu’elle éprouve un effroi semblable ; mais c’est une accusation que Toussaint ne destine qu’à Lucius au tome 9 (et qui est doublée, au tome 13, de Toussaint qui dit à Saul que « Lucius ne sait qu’appliquer de vieilles recette »).

Bref, pour le peu de scènes où Lucius apparaît, cette crainte irrationnelle donne une épaisseur assez satisfaisante au personnage, et suivant très bien la logique qu’on peut imaginer à l’univers. C’est cet effroi et la scène de Chant d’automne qui ont été les deux piliers développant mon imaginaire personnel autour de l’univers de Seuls et des Premières Familles.

 

Mais… cette caractéristique, la peur… elle ne vous rappellerait pas quelqu’un ?

 

Layer 4 : L’héritage du premier cycle

 

On doit se dire la vérité. En tant que ville de fiction, Néosalem sait se distinguer de manière très solide, malgré le changement de ton qu’un lecteur vit lorsqu’il découvre le tome 8. Et elle ne doit pas cette réussite aux Sages, au Maître des jeux, à Achille, aux Sans-Noms, à Octave ou à Saul.

Elle le doit à Sélène et Alexandre.

Ces personnages ont tout fait. Ils sont les précurseurs de l’étrangeté de Néosalem, du décalage entre ancien et nouveau, du fait que les héros de la BD allaient tôt ou tard se retrouver devant un monde inconnu.

Sélène et Alexandre, je n’ai plus à les présenter. Quiconque a lu Seuls se souvient de ce duo d’archers, qui paraissent des enfants parmi d’autres enfants. Sinon qu’ils sont impassibles, froids, beaucoup trop efficaces, beaucoup trop sérieux, beaucoup trop pragmatiques pour de simples enfants. Le clan des Étendards s’habitue à leur présence, mais on nous fait sentir que c’est par obligation, tant l’anormalité de ce duo est flagrante.

Et puis, la situation dégénère dans le tome 5, quand il devient évident que Sélène et Alexandre passent à l’action. Attaques arrêtées de justesse, puis traque, la menace qu’ils sont se rapproche. Tout ça atteint son apogée lorsque le groupe d’enfants partis chercher Terry, qui a fugué, se retrouve bloqué sur des barques. Sélène et Alexandre se perchent sur un toit, où le groupe est à leur merci. Leurs arcs s’arment, leurs flèches jaillissent, l’une touche Camille. Aucune ambiguïté : ils veulent leur mort, purement et simplement.

Si ce n’était que ça, encore, on pourrait les voir comme des méchants « gratuits », même s’ils avaient été bien établis avant.

C’est sans compter sur leur dialogue. Leur dialogue, une pièce de puzzle qui nous permet de commencer à comprendre la Disparition. Alors qu’Alexandre, abattu et désespéré, affirme que « tous les autres » reviennent « toujours », Sélène lui rétorque que ce n’est pas le cas, raison pour laquelle elle et lui devraient continuer d’essayer d’agir pour empêcher quelque chose de recommencer. Des éléments vagues, mais aussi forts : alors qu’ils agissent en tueurs, le masque froid de ces deux enfants se craquelle, révélant des émotions complexes, des larmes. De l’effroi.

Alexandre se résout : ils ont échoué. À quoi ? Mystère, tout ce qu’on sait, c’est que la situation est si grave qu’ils pensent que tuer des enfants est la solution. Sélène, elle, n’a pas dit son dernier mot, et plonge dans le Maelström, traquant ses victimes jusqu’au pied du Monolithe. C’est là qu’elle rencontrera son destin.

Et… malheureusement, le tome 5, celui qui nous permet de connaître enfin la vérité derrière la Disparition et derrière le comportement de Sélène et Alexandre, ce même tome est celui qui les voit tous les deux disparaître. Sélène, emportée par le Monolithe, et dont le sort est encore inconnu aujourd’hui. Alexandre, fuyant, et qui n’aura jamais le même rôle dans la BD après ça. Son aura de bizarrerie a été percée, et mêlée à Néosalem, elle ne sera plus jamais unique. Parier encore dessus aurait été une erreur que Gazzotti et Vehlmann n’ont pas fait.

 

Selon moi, Lucius est l’unique héritier de cette aura de bizarrerie. Lucius est, de tout Néosalem, le personnage qui fait le mieux passer ce sentiment de malaise, d’avoir l’impression de ne pas avoir tout le tableau, que quelque chose pèse encore, qu’un mystère persiste. C’est surtout flagrant dans le tome 8 et 9.

Le reste de la série et de ses apparitions ne suivent pas cette ambiance, hélas.

 

Layer 5 : L’étiolement

 

Lucius est toujours un personnage que j’apprécie. Il n’a pas eu, comme certains personnages, un revirement brusque qui perce l’aura de mystère qui l’entoure, ni un changement brutal de caractérisation.

Cela dit, le personnage m’ennuie un peu plus, ces derniers tomes.

Difficile d’être très investie quand ce personnage, dont l’intérêt oscillait entre « être très présent » et « s’effacer au profit des autres personnages plus expressifs », prend le devant de certaines scènes. Sa position de mentor de Saul, tome 12, est intéressante ; mais j’ai un peu plus de mal à saisir pourquoi il prend le micro, tome 14, pour s’adresser à la foule.

Ce n’est rien qui gâte le personnage, soyons d’accord. Mais ça fait désormais 8 tomes qu’il est apparu, et faute d’écho à tout le potentiel qui a lancé mon obsession à son sujet, personnellement, je suis très tentée de le laisser à sa place, et continuer d’explorer le lore sur lequel il m’a lancée… mais sans lui.

 

La conclusion est peut-être décevante ? Je planche sur cette analyse depuis quelques heures, et j’ai une tendance à écrire au fil de la plume plutôt que de fabriquer mes posts sur le long cours, donc il faudra s’en contenter ~

J’espère que ce post n’était pas trop indigeste. N’hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé !!

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